vendredi 2 février 2018

Tableaux corsaires



Au sujet de l'œuvre de Michel Haramboure


Les enfants aiment coller des posters dans leur chambre. Ils recomposent leur album de famille en affichant aux murs les héros qu'ils admirent et rêvent d'avoir pour amis ou compagnons de vie. Ces derniers leur soufflent que la vie est ailleurs, plus grande, plus intense, plus dangereuse. La chambre devient alors une caverne et les images tendues sur les parois, des symboles magiques censés favoriser la chasse au vrai monde. Changer de famille et changer le réel, c'est l'affaire de toute enfance (de toute vie ?).

Manuel Haramboure est un enfant prolongé, autant dire un vivant prolongé. Le cas est rare car la vie fait peur et seul un enfant, inconscient, a la force et la naïveté de partir à son assaut. Il dit les choses quand les adultes les taisent, alors on l'envoie dans sa chambre. Le peintre passe lui aussi du temps dans sa chambre, mais celle-ci, de temps à autre, est ouverte au public, on appelle ça une exposition. Là, se tiennent, couchées sur des toiles, les visions de l'artiste, autant de cartes rapportées de ses voyages hallucinés au pays du réel.

L'âme de l'enfant est tourmentée, on le sait, au moins depuis Freud. Celle de Manuel Haramboure aussi. On reconnaît un peintre à ses taches, celles qu'il fait sur ses tableaux, reflets de celles qui maculent ses vêtements et sa conscience. « À moitié victime, à moitié complice, comme tout le monde » (Sartre). Il ne maquille pas, il n'esquive pas, il montre. Suant, hirsute, dérisoire, il accomplit sa besogne de pauvre. Tandis que les images se disputent le réel, il se bagarre pour recueillir et projeter les signes d'un réel qui a le sens du tragique, tissé des intrigues inextricables du mal, du désir et du bien.

Un créateur est toujours violent. Sinon c'est un faiseur, ou un enjoliveur, peut-être la pire espèce, la plus vaine : « il n'y a plus rien à enjoliver, dans une société et dans un monde où tout est constamment enjolivé de la manière la plus répugnante » (T. Bernhard). On croit d'habitude que l'artiste se réfugie dans la fiction quand les « gens sérieux » se rapportent aux faits. C'est l'inverse. Les « gens sérieux » se complaisent dans la comédie humaine et tiennent leur emploi du mieux qu'ils peuvent, en donnant le change des apparences. L'artiste, lui, refuse de participer à cette parade ; il se réfugie dans le réel, il ne veut pas le laisser filer ou se dissoudre sous les feux du mensonge. La cruauté et la violence sont l'envers de toute vie ; la beauté aussi.

Ceux qui ont eu le courage d'explorer cette face cachée sont fascinants. Ils sont portés par une force étrange qui les jette vers le péril, en un point où puissances de vie et puissances de mort se répondent. Le plus souvent, ils se perdent dans ce périple infernal. Manuel Haramboure relève les traces de ces itinéraires improbables, il tire le portrait de ces monstres d'humanité. Ses tableaux disent le défi possible, une forme de panache, de noblesse, sans illusion, face à une vie rude, face à une histoire féroce, promises toutes deux à un tranquille désastre.

L'enfant dit : « le roi est nu », mais devenu artiste, on ne le punit plus ; tout au contraire, c'est nous qui le rejoignons dans sa chambre. Ces héros noirs qu'il célèbre, cette violence qu'il met en scène, ces abîmes intimes qu'il dessine, dressent le décor de nos existences et creusent dans l'âme le sillage sombre d'un combat lumineux. Nous rêvons d'en découdre.



Christophe Lamoure, mars 2013.

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